Suite à la mission menée en octobre dernier en Union des Comores par une délégation de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, un compte rendu a été fait aux députés membres de ladite commission au mois de décembre. Un rapport sans concession sur l’état du pays et sur la politique qui y est menée. Morceaux choisis.
Au mois de janvier 2017, la Commission des Affaires étrangères examinait une convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l’Union des Comores. « Beaucoup d’entre nous avait exprimé à cette occasion leurs inquiétudes à propos de Mayotte et la pression migratoire qui s’exerce sur l’île et ses différents services publics. Le rôle de notre aide publique au développement avait également fait l’objet de nombreuses interrogations », rappelle Marielle de Sarnez, présidente de ladite commission. En conséquence, une délégation de celle-ci, menée par les députées Laëtitia Saint-Paul, Monica Michel, Annie Chapelier, et Bérangère Poletti, s’est rendue en octobre dernier dans les îles voisines – à l’exception d’Anjouan, alors en situation quasi insurrectionnelle – pour se rendre compte de la situation du pays, et donc des rouages de l’immigration clandestine : « Nous avons souhaité bien comprendre la situation (…). Nous sommes allées partout : de la déchetterie à ciel ouvert à la prison, aux commissariats, aux hôpitaux », détaille Laëtitia Saint-Paul, rapporteure de la délégation dans le compte rendu fait à la Commission en décembre dernier*. Et le moins que l’on puisse dire est que les quatre responsables politiques ont été étonnées de ce qu’elles ont trouvé en Union des Comores.
« De surprise en surprise »
Un étonnement résumé par Annie Chapelier en une phrase : « À l’instar de mes collègues, j’ai été de surprise en surprise, et bien des choses se sont éclairées lorsque j’ai découvert certains fonctionnements. » En cause : une gestion calamiteuse et un flou artistique total dans les politiques menées par l’Union des Comores pour son propre territoire. « J’en suis revenue avec plus de questions que de réponses », concède également Bérangère Poletti, précisant : « C’était un déplacement difficile. On était confrontées à un territoire en grande difficulté. J’ai déjà fait un déplacement au Niger, un pays très pauvre, et j’ai trouvé que ce déplacement aux Comores était plus compliqué. » Autant dire que peu semblaient auparavant avoir conscience des défaillances de gestion qui ont cours dans le pays. Chose désormais corrigée : « Vous avez pu prendre la mesure de la situation aux Comores », a souligné Marielle de Sarnez après cette première visite d’une délégation de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale aux Comores. Manque de moyens, rôle insuffisant de la diaspora, mauvaise volonté, corruption, absence de qualifications : c’est un rapport sans concession à l’égard de nos voisins que dresse la Commission, en souhaitant que, sous peu, se mette en place un groupe d’étude qui dressera une feuille de route sur la conduite à tenir, notamment en termes d’aide au développement versée par la France. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi, présent lors du compte rendu, a déclaré devant la Commission être « très content de ce que [qu’il a] entendu », saluant la « qualité, l’exhaustivité, et la rigueur intellectuelle » du rapport : « Vous permettez à la représentation nationale d’être éclairée. C’est ça la première lueur d’espoir, car cela n’était pas valable avant. Comment voulez-vous prendre les bonnes décisions si le bon diagnostic n’a pas été fait. Or, je viens d’assister à un excellent diagnostic sur la situation des Comores. » Et d’espérer qu’une « ère nouvelle s’ouvre dans les relations entre la représentation nationale et Mayotte, car des clichés existent encore », faisant référence à la question d’un député relatif à la « colonisation » de Mayotte : « Les bras m’en tombent », a illustré le sénateur, rappelant « qu’il n’y avait pas eu de colonisation [de Mayotte] par la France », mais une « demande de protection » de l’île.
Sur les aides financières de la Chine « Plusieurs interlocuteurs nous ont conseillé de prendre davantage exemple sur la Chine, qui fournit des aides sans condition »
Alliée de poids – elle a été un des premiers pays à reconnaître les Comores sur la scène internationale et les soutient dans ses revendications territoriales sur Mayotte –, la Chine est elle aussi très présente chez nos voisins. Une présence loin d’être désintéressée, évidemment, qui se traduit par des aides financières accordées sans condition. Pas de quoi encourager le développement du pays à long terme. La députée Monica Michel l’explique : « La Chine est un autre acteur désormais incontournable. Elle apporte une aide financière sans condition pour construire des édifices visibles, sans s’inscrire dans une approche durable du développement. La Chine a ainsi financé la rénovation de l’Assemblée des Comores [et] doit également reprendre le projet de port en eau profonde de Moroni, duquel l’Union européenne a du se retirer, faute de respect de la conditionnalité des aides. » D’ailleurs, « plusieurs interlocuteurs nous ont conseillé de prendre davantage exemple sur la Chine, qui fournit des aides sans condition. » Un exemple ? Celui de l’Assemblée nationale de l’Union des Comores, située avenue… de la République populaire de Chine : « [elle] a notamment investi dans le bâtiment de l’Assemblée nationale il y a une dizaine d’années (…) Ce bâtiment va faire l’objet d’une rénovation, a priori sans contrepartie d’après ce qu’il nous a été expliqué. Par ailleurs, la Chine est en train de déployer des travaux reliant Moroni à Mitsamiouli. (…)Il s’agit de dons, probablement, mais tout n’est pas gratuit. » En s’interrogeant : « Que se passe-t-il en matière d’échanges avec la Chine ? Ce que je comprends est que l’Union des Comores importe pas mal de produits en provenance de Chine. Ma conclusion est donc qu’à ce jour, la contrepartie se fait de cette façon-là ». De l’import oui, mais aussi peut-être des avantages accordés à l’Empire du Milieu. C’est par exemple le cas à Mohéli où, « comme le responsable du Parc marin nous l’expliquait, le gouvernement envisage d’offrir à des investisseurs chinois ce parc, qui est un parc de protection de l’environnement, pour exploiter le homard », remarque Annie Chapelier, députée du Gard et qui, pour l’anecdote, a vécu à Mayotte.
Sur l’immigration à Mayotte » Leurs moyens sont trop rudimentaires »
À l’origine de ce déplacement en Union des Comores : la situation de Mayotte et les flux migratoires que notre île connait. C’est donc tout naturellement que la problématique de l’immigration clandestine a été abordée : « 42 % environ de la population mahoraise serait d’origine étrangère, dont plus de la moitié, jusqu’à 80 %, serait en situation irrégulière. Les flux entrants sont estimés entre 25 000 et 30 000 personnes par an, pour 18 000 à 20 000 reconduites annuelles. Si les autorités comoriennes ont pu faire valoir la présence de migrants africains originaires des Grands Lacs, qui transiteraient par les Comores pour se rendre à Mayotte, les flux seraient essentiellement constitués de Comoriens, et notamment d’Anjouanais. » Des flux que rien ne semble pouvoir arrêter, faute de moyen nécessaire : « Sur Grande Comore, la police disposait d’un seul véhicule pour toute l’île, ils n’ont donc, aux Comores, absolument aucun moyen pour contrôler l’immigration irrégulière qui transite par leurs îles. Leurs moyens sont trop rudimentaires [et] ce ne sont donc là que des estimations. Je pense qu’elles peuvent assez honnêtement être revues à la hausse. Face à la situation de saturation des services publics à Mayotte, écoles et hôpitaux notamment, la problématique migratoire reste entière. Tout en sachant que, d’après le préfet de Mayotte (…), si la France fait un effort massif à Mayotte pour améliorer tous les services publics, cela aurait pour conséquence d’augmenter la pression migratoire, l’amélioration de la situation à Mayotte ne passe que par l’amélioration de la situation aux Comores. »
Source : Mayotte Hebdo