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Algérie : Les Algériens rivalisent d’humour pour braver Bouteflika et le « système »

Les Algériens rivalisent d’humour pour braver Bouteflika et le « système » Dans les manifestations et sur les réseaux sociaux, les bons mots qui rythment la contestation sont truffés de références internationales.

People gather during a protest over President Abdelaziz Bouteflika’s decision to postpone elections and extend his fourth term in office, in Algiers, Algeria March 15, 2019. REUTERS/Zohra Bensemra – RC147CDBD100

Depuis le vendredi 22 février, le caractère pacifique des rassemblements contre le président Abdelaziz Bouteflika en Algérie est largement applaudi. Un peu moins l’humour dont font pourtant preuve les manifestants. Abondamment relayés sur les réseaux sociaux, les slogans et chants témoignent d’une dérision très ancrée dans l’histoire du pays mais aussi très ouverte sur l’étranger.

Si le dernier vendredi de protestation a été très prolixe en matière de slogans, le 4 mars déjà, soit moins de deux semaines après le début du mouvement, El Manchar titrait un audacieux « Bouteflika s’engage à mourir en cas de victoire ». C’était au lendemain du dépôt de candidature du président Bouteflika et de sa lettre au peuple algérien annonçant son intention de ne pas aller au bout de son mandat s’il était élu… Si ce site qui se positionne comme un équivalent du Gorafi, fait de l’humour son fond de commerce, ce même esprit est désormais descendu dans la rue.

Chaque vendredi, le florilège est un peu plus nourri. Le 8 mars, par exemple, le slogan « Black Friday : 100 % de remise immédiate. Le peuple solde : 1 cadre + des ministres incapables (sans garantie) » a fait mouche, en écho à un autre écriteau « Nous ne voulons ni du cadre ni des clous qui le fixent » ; référence aux cérémonies organisées autour du portrait du président pour compenser son absence physique depuis son AVC de 2013. L’humour moque ce président absent et omniprésent, tandis que la référence aux clous tourne en ridicule ses laudateurs, rebaptisé « Abdel-Cadre Bouteflika » par les internautes.

Le clan qui entoure le président cristallise aussi largement les blagues. A une pancarte arborant un « ce camembert pue moins que votre système », répond sur d’autres panneaux repris sur Twitter, le détournement du titre d’un célèbre film américain : « Catchir me if you can » ; en allusion à ce saucisson algérien présenté comme le symbole de la corruption du régime. Dans les manifestations de soutien de la diaspora, à Paris, ce même humour était à l’œuvre début mars, parodiant une célèbre marque de cigarette d’un laconique « Vous êtes mal barrés. Votre système nuit gravement à la santé ».

« En Algérie, l’humour a toujours été utilisé pour taquiner le pouvoir, en particulier dans les moments difficiles. Il a pris différentes formes au cours des dernières décennies et s’est adapté au contexte », explique l’historienne Elizabeth Perego, qui publie prochainement un ouvrage sur le sujet. Pour elle, « l’humour est un sport national », une forme de résistance, tant face aux gouvernants qu’au quotidien. Durant la colonisation et la guerre d’indépendance, l’autodérision était utilisée pour éviter la censure. Rire de soi était un moyen détourné de critiquer le colon et avec le temps, l’humour, s’est débarrassé de sa pudeur, devenant plus direct, plus frontal.

 

 « Le président Chadli Bendjedid [1979-1992] a été la cible par excellence des blagues populaires, observe l’historienne. Il était en permanence moqué et comparé à son prédécesseur, Boumédiène. » Lors des grandes manifestations d’octobre 1988, pour moquer sa prétendue incompétence, les manifestants scandaient : « Djazaïr biladuna, Chadli himaruna » (« Algérie notre pays, Chadli notre âne »). Et suite à cela, une certaine ouverture démocratique a permis « aux caricaturistes d’utiliser leur stylo pour ridiculiser les présidents et les caciques du régime », estime Mme Perego.

Canular téléphonique

Depuis le 22 février, en tout cas, les contestataires ont encore franchi un cap dans le maniement de ce que Bachir Dahak (auteur des Algériens : le Rire et la Politique de 1962 à nos jours), estime lui aussi être « une partie du patrimoine culturel algérien ».

Et quand l’afficher en slogans ne suffit plus, l’humour devient action, comme en témoigne cet épisode où un internaute a appelé le standard de l’hôpital genevois où le chef de l’Etat est resté du 24 février au 10 mars. « Mon livreur est coincé au huitième étage. Là-haut, ils ont commandé une cinquième pizza. Mais ils doivent payer les quatre autres, sinon il n’y aura pas de cinquième pizza ! », a-t-il plaisanté pour rappeler le mécontentement du peuple algérien s’estimant spolié par le régime.

Source : le Monde

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