Le président de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi, vient de proclamer le 23 janvier Journée nationale de l’abolition de l’esclavage. Une décision qualifiée d’« historique » par les militants des droits de l’homme, qui le réclamaient depuis plusieurs années.
La Tunisie célébrera désormais, chaque 23 janvier, la journée nationale de l’abolition de l’esclavage. Cette décision présidentielle a été proclamée après une rencontre avec la présidente de l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, Raoudha Laabidi, à l’occasion de la commémoration du 173e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Tunisie. Depuis cette annonce, la toile semble ravie. Les défenseurs des droits de l’homme et les militants des associations de lutte contre le racisme ont exprimé leur joie face à cette avancée. Beaucoup félicitent cette décision, dans laquelle ils voient une vraie consolidation des acquis, surtout après les récentes réformes comme la loi criminalisant le racisme en octobre dernier, ou encore la possibilité désormais pour une Tunisienne
de se marier avec un non-musulman.
Il est grand temps de délivrer les mémoires de l’oubli et de nous réconcilier avec cette histoire lointaine d’une « africanité » en écueil
La présidente de l’association M’nemty, Saadia Mosbah, connue pour être la figure emblématique de la lutte contre le racisme en Tunisie, a adressé le 21 janvier 2019 une lettre au président de la République : « Nous en parlons avec beaucoup de fierté et d’orgueil dans nos discours, nos tribunes, nos journaux, nos radios, pour dire au monde entier que ce petit pays est précurseur, avant-gardiste, moderne. […] Il est grand temps de délivrer les mémoires de l’oubli et de nous réconcilier avec cette histoire lointaine d’une « Africanité » en écueil, sachant que la Tunisie a donné son nom au continent Ifriqiya. »
Rendre « effective » la lutte contre le racisme
Contactée par Jeune Afrique, Yamina Thabet, présidente de l’Association tunisienne de soutien des minorités (ATSM), n’a pas caché sa satisfaction après cette annonce qu’elle a qualifiée « d’historique », et qui représente pour elle « la deuxième grande nouvelle de ces derniers mois », après l’adoption en octobre de la loi sur le racisme.
« Nous voulions proclamer une journée nationale pour l’abolition de l’esclavage, car nous estimons qu’il s’agit de notre histoire et d’une date charnière qu’il faut commémorer. Comme les collectifs M’nemty et Adam, notre association adresse depuis 2012 des lettres à la présidence. […] C’est très important que l’histoire de l’esclavage soit enseignée à l’école si on veut que la lutte contre le racisme soit effective », a t-elle ajouté.
Sous l’impulsion d’Ahmed 1er Bey, la Tunisie a été le premier pays arabo-musulman à abolir l’esclavage en 1846 – avant la France et les États-Unis. Même si la traite s’est poursuivie jusqu’au début du XXe siècle, d’autres textes beylicaux avaient également été promulgués, dont un en 1841 interdisant la vente des esclaves dans les souks de l’agglomération de Tunis, et un autre, une année plus tard, prohibant leur vente et leur envoi à l’étranger.
Néanmoins, la Tunisie peine encore à classer les douloureux souvenirs de l’esclavage et de la traite humaine dans son passé,
à cause du racisme toujours patent dans la société. Le 23 décembre dernier, le président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie a été tué à l’arme blanche, dans un quartier de Tunis où les agressions racistes sont fréquentes. Les associations, qui fustigent le laxisme de l’État et dénoncent un vocabulaire raciste et à connotation esclavagiste, s’inquiètent également des chiffres divulgués dans le dernier rapport de l’Association de lutte contre la traite humaine. Entre 2017 et 2018, plus de 700 cas – exploitation économique et sexuelle, travail domestique des enfants, etc. – ont été enregistrés en Tunisie.
Source : Jeune Afrique