ALFAJR QUOTIDIEN – Journal d'information quotidien comorien

Littérature : « Nos grilles », un projet né à la prison de Koki sur scène en France

Samy Yassine et Etienne Russias jouent « Nos grilles », la performance littéraire et sonore née d’un projet d’ateliers de pratique artistique à la prison de Koki, aux Comores. Interview croisée des deux artistes.

En quoi consiste ce projet  » Nos grilles  » ?

E.R. : Nos grilles est la performance que Samy et moi avons développée suite à notre expérience aux Comores en mars dernier. Nous t’y avions alors rencontré et avions pu, grâce à votre soutien, informer l’ensemble des comoriens sur la tenue et le résultat de nos expérimentations carcérales ! C’était fort ! C’était même tellement fort que nous en avons fait un spectacle, Nos grilles.

S.Y. : A tenir une promesse faite aux amis de l’équipe Karibu vanille, l’équipe formée par les participants de nos ateliers à la Maison d’arrêt. Chacun de nous devions construire une suite à cette rencontre, que cette rencontre n’était qu’une partie de l’histoire Karibu Vanille ! Pour nous, cette suite s’incarne dans la création d’une performance.

Est-ce que  » grilles  » fait référence à la prison ?

E.R. : Évidemment, il est difficile de ne pas voir là une référence. Mais peut-être y a-t-il d’autres lectures possibles ? C’est la puissance de la poésie. Les mots ont chacun leur puissance, leur potentiel de développement.

S.Y. : Oui mais peut-être font-elles aussi référence aux barrières que nous pouvons mettre face à « l’autre » ? « L’autre » le détenu, l’étranger, l’inconnu… ce que nous pouvions potentiellement être lors de notre rencontre. Et si nous supprimons ces « grilles », « l’autre » n’est-il plus un détenu, ni un étranger, ni un inconnu ? Et comment les supprimer ? Nous, les Karibu Vanille, avons essayé d’y répondre.

Quel est l’impact que vous espérez sur ce projet ?

E.R. : Changer le monde ! Rien de moins ! Ce qu’on veut, ce que je veux au moins mais je suis sûr que Samy et moi partageons la même vision, c’est affirmer que tout le monde est poète et que la pratique artistique ouvre un potentiel de réalisation et d’émancipation infini. Ce que nous voulons, c’est affirmer que si, en dix jours, un groupe de gars de la maison d’arrêt de Koki trouvent une beauté indéniable et absolue, alors tout le monde en est capable !

S.Y. : Je suis d’accord avec Étienne : changer le monde !  Permettre de continuer à faire vivre un espace de rencontres, d’échanges et de réflexions ! Montrer, comme le dit si bien Mohamed, que « nous sommes tous des créateurs » ! Musiciens, danseurs, poètes… !

Vous parlerez d’un voyage de la maison d’arrêt de Koki vers la France ? Est-ce que vous parliez d’un voyage de texte d’un pays à l’autre ?

S.Y. : Nous parlerons de textes nés aux Comores de parents Karibu Vanille, qui passeront par la France mais qui n’ont clairement pas de frontières ; des textes qui continueront à voyager!

E.R. Samy a raison. Les textes voyagent, en étant sur scène avec eux, nous participons à leur voyage et les premiers retours que nous avons autour de cette performance nous laissent penser que les spectateurs voyagent également vers Anjouan avec Nos grilles. Après tout c’est la puissance de la pratique artistique, celle d’emmener toutes et tous vers un ailleurs indéniable.

De qui sont ces textes ?

E.R. : « Les poèmes sont collectifs. » C’est Petit Boss, un des prisonniers, qui l’a dit. Ils ne sont à porter au crédit d’aucun d’entre nous, nous ne pouvons les réclamer que collectivement. Nous le précisons dans le spectacle. J’ai par ailleurs écrit un fil narratif qui vient tisser un lien entre les poèmes et Samy, lui, a composé tout l’accompagnement du projet.

S.Y. : Voilà, de toute l’équipe Karibu Vanille.

Est-ce que c’est une première ou vous avez déjà fait ce genre de projet dans un pays pour l’exposer dans un autre ?

E.R. : J’avais déjà conduit des expérimentations poétiques dans d’autres pays, en France bien évidemment, ainsi qu’au Gabon ou plus récemment en Europe de l’Est. Mais c’est la seule fois que j’ai ainsi développé un projet pour en faire un spectacle. À chaque représentation, l’énergie que nous déployons nous lie aux Comores, nous lie à Anjouan et à Koki. Nous ressentons, à chaque fois, une démarche d’émotion substantielle.

S.Y. : La construction de projets qui favorisent l’expression créative dans une dimension collective (pouvant mélanger des personnes de différents horizons), fait partie de mon travail en Art-thérapie. Par contre un projet de cette envergure, est une grande première pour moi et cela a été possible avec la rencontre d’une équipe formidable de l’Alliance Française de Mutsamudu (et c’est peu dire !), grâce à la rencontre d’une équipe Karibu Vanille unique ! Cela a été possible avec la rencontre d’un Ami ! 

Propos recueillis par Ahmed Zaidou

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