Que savons-nous au juste des médias du continent africain ? Sans doute peu de choses. Découverts au monde au rythme de leurs sociétés exposées à des crises sociopolitiques, ethniques ou religieuses, les médias africains sont moins connus dans le monde. On se rappelle qu’en 1994, au Rwanda, la Radio Télévision Mille Collines a participé à la préparation et à l’exécution d’un génocide entre Hutus et Tutsis. D’autres se souviendront du nom de Norbert Zongo, journaliste burkinabè, assassiné en 1998 pour avoir mené des investigations mettant en cause des proches du président Compaoré. D’autres aussi, se rappelleront qu’au Zaïre, actuelle RDC, Mobutu Sese Seko a exploité la presse audiovisuelle au profit de son culte personnel. Aux Comores, en 1968, le souvenir du scandale d’André Sabas, journaliste de l’ORTF, accusant les jeunes lycéens d’avoir profité d’un accident aérien pour piller les biens des voyageurs est peu connu. Ce journalisme de provocation et d’incitation à la haine n’a pas sa place dans notre pays. C’était un journalisme de honte.
A la veille des échéances électorales anticipées de mars et avril 2019, le métier de journaliste est plus que sollicité dans le traitement et la diffusion de l’information. Très proche de la population, souvent rejeté, incomprise et contesté, le journaliste, véritable homme de terrain est un levier de l’émergence. Sa position vis-à-vis de l’actualité, son point de vue et ses analyses sont une arme à double tranchant. Il peut agiter le citoyen tout comme apaiser ses tensions. Le journalisme comorien, très récent comme le métier en Afrique a une mission sacerdotale dans la cohésion sociale, la sécurité des biens et des personnes, la formation citoyenne. Si les médias africains se sont exposés sur la scène internationale à travers des événements malheureux, la presse comorienne n’a jamais été à l’origine de guerres ou de haine. Des fidèles lecteurs d’Al-Watwan ont toujours été émerveillés par les belles plumes d’Amad Mdahoma, Loutfi Chouzour, Pétan Mognihazi, Saindou Kamal-Eddine, Saminiya Bounou, Mohamed Inoussa… D’autres, fidèles à Radio Comores sont encore nostalgiques des voix de Faouzia Ali Amir, Touma Bacar, Echata Ahmed, Maoulid Saleh, Ibrahim Ahmed Hazi, Hassane Ahamada ou Ali Djambaé. C’était le temps d’un journalisme reconnu et ovationné, le temps où Internet n’existait pas et que les médias comoriens enregistraient un lectorat et un auditoire très important. La pratique du journalisme dans notre impose des conditions préalables pour une véritable synergie entre la presse et la société, surtout à l’heure du développement rapide des médias numériques. A l’heure où les NTIC s’imposent dans la presse, quel modèle journalistique s’offre à nous ? Quels enjeux des médias et quel rôle du journalisme dans la campagne électorale ?
Un journalisme à deux vitesses
Loin d’être émaillé de plusieurs tâches noires et accusé d’incitateur au désordre public à l’instar de leurs confrères africains, le journalisme comorien reste encore une institution atypique. Considéré parfois comme un métier intermédiaire, il a été considéré pour certains comme une passerelle vers une autre activité plus confortable. Dans la mesure où les rétributions de la profession ne sont pas encourageantes et devant une société comorienne de tradition orale, le métier attire peu de personnes. Aussi, seule une minorité de Comoriens s’intéressent à l’actualité car les pratiques de lecture ont toujours été tenues par une élite scolaire et politique. Par contre, dans chaque village, Radio Comores captait un auditoire important même si l’offre présentée par la grille d’information était très limitée. Au-delà des premières voix de la Radio dont Ben Abdou en reste un grand témoin et des professionnels des médias formés à l’ENES de Nvouni et aux grandes écoles et instituts de journalisme du monde, une grande partie des journalistes comoriens embrassent la carrière par accident ou fantaisie. La promotion des radios libres, initiée aux Comores, en 1992 a permis de recruter des jeunes sans formation, généralement scolarisés et ayant une facilité d’expression et d’animation orale. Aujourd’hui, certains journalistes de métier ont passé par ces dispositifs médiatiques et s’imposent avec légitimité. Ainsi des voix de l’ORTC telles qu’Abdallah Moina Soilih ou Rachid Aubin ont évolué respectivement à Studio 1 (Moroni) et Echo-Studio (Mitsoudjé), une des premières radios libres du pays. Dans cette même lancée, d’autres radios étaient ouvertes à Foumbouni (Sud Radio) ou à Anjouan (Dziyalandze). Entre des journalistes formés sur les bases de la déontologie et de l’éthique du métier et d’autres qui embrassent la pratique sans être outillés à la profession et ses enjeux, les médias comoriens évoluent dans une dualité contradictoire : d’une part des professionnels, formés pour la cause et d’autre part des parvenus, ayant suivi une formation universitaire en lettres ou sciences humaines, qui s’investissent dans un monde sensible et sollicité. Il se pose alors la question de l’harmonisation des personnels des médias et de la formation sur le tas afin que les journalistes remplissent leur rôle de témoins capitaux, d’analystes et parfois d’acteurs engagés dans les processus politiques du pays et dans l’écriture de son histoire.
Il se pose également l’épineuse question de désoccidentaliser le système médiatique comorien dans le but de l’adapter aux urgences de la société tout en remplissant les nobles missions qui lui sont assignées. Devant ce journalisme à deux voies (à deux voix également), les pseudo-journalistes se réfugient dans le numérique. On se rend alors compte qu’aux Comores l’information en ligne traverse un grand désordre pendant que dans d’autres contrées elle gagne une reconnaissance sociale. Si dans d’autres pays les journalistes se sont progressivement emparés des réseaux sociaux numériques pour en faire un moyen supplémentaire visible et lisible de produire de l’information ou de la diffuser, des journalistes non reconnus, atteint du syndrome du micro, animés du goût de la manipulation des masses, se réfugient sur Internet pour diffuser des messages incontrôlés et parfois incontrôlables, sous l’étiquette d’une tendance politique de l’opposition. On notera qu’il s’agit ici d’appropriations personnelles d’Internet puisque ni les créateurs de Facebook, Twitter, LinkedIn, google+, Youtube ou Instagram…n’ont conçu à l’origine leur dispositif sociotechnique pour l’actualité et la diffusion de la presse. Aux Comores, il faut reconnaitre que la rapidité avec laquelle les rumeurs et les fake-news circulent sur les réseaux sociaux pose rapidement des questions éthiques et déontologiques qui interpellent l’Etat et la CNPA. La désinformation n’est pas un fait, c’est plutôt un délit. Il en va de la responsabilité de chacun. Recadrer la profession journalistique et éradiquer le système à deux voies dans les médias est une conditionnalité du projet de l’émergence.
Quelle implication des médias dans la campagne électorale ?
En Afrique comme en Occident, la question du rôle de la presse est toujours posée à la veille de compétitions électorales. Les organes médiatiques étant très sollicités dans toutes les phases du vote, la presse comorienne a une mission déterminante à remplir dans ce projet d’émergence du pays. Les journalistes, à l’instar des enseignants, sont le fer de lance de la formation citoyenne car l’émergence commence par la formation d’esprits éveillés, patriotes, citoyens, car comme disait Jean Bodin, philosophe et juriste français du 16ème siècle, « il n’est de richesses que d’hommes.» Pour cultiver et entretenir la paix sociale, le professionnel des médias s’impose un devoir de réserve et un usage réfléchi de la question des sources. S’il est véritable citoyen, le journaliste se donne la mission de protéger l’Etat et ses institutions car ’’le régime en place est un pouvoir mais l’Etat c’est tout le monde’’. Les incitations au désordre qui animent certaines émissions sur Facebook, les messages séparatistes, les insultes et les montages d’images pour atteinte à la personnalité sont, encore une fois, des actes délictuels. Ils seront punis par les lois. Certains s’imposent comme légitimes alors que leur méthode est dangereuse. Informer, oui. Mais informer quoi et comment ? Est-ce que tout est à diffuser, vulgariser ? Le journaliste est-il détenteur de la vérité ? Mais quelle vérité ? Sa vérité ? Toute vérité est-elle bonne à dire ? De telles interrogations méritent encore d’être posées puisqu’elles peuvent être source de déstabilisation aux conséquences sociales incontrôlables. Au-delà des spécificités régionales ou nationales, le journalisme reste un métier universel avec des règles, des méthodes et des aspirations à l’objectivité et à l’impartialité. Le journaliste informe pour fournir à ses concitoyens les moyens de comprendre le monde et d’agir efficacement. Les faits qu’il relate lui sont signifiants pour son public et les normes de conduite et de retenue sont ses principales références. Si l’information est sacrée c’est parce qu’elle nous expose à plusieurs enjeux. Dans le cadre des échéances électorales qui s’annoncent, la place du journaliste comorien est essentielle. Il a le droit d’informer mais aussi le devoir citoyen de préserver la paix, d’éduquer, d’instruire la culture citoyenne. Il est temps de redonner à ce métier ses lettres de noblesse en réhabilitant son image ternie par les facebookeurs inconscients, manipulés par des politiques et des nostalgiques du séparatisme. Le peuple comorien attend des journalistes comme des vrais médiateurs sociaux, des instigateurs de la parole constructive et des échanges républicains. Le président Azali, en s’adonnant à l’exercice par le grand entretien réalisé par l’ORTC, pose les jalons du débat démocratique. Le souhait des électeurs est surtout de voir les candidats exposer et défendre des projets politiques. Des idées réalistes et réalisables et non pas des ambitions prétentieuses et utopiques. Le projet d’émergence initié par le chef de l’Etat pourrait servir de point de départ dans les débats. Par ailleurs, le journalisme corporatif doit, enfin, s’impliquer dans le rétablissement de l’image du métier. Au moment où ces talentueux de la presse écrite et audiovisuelle assistent au désordre imposé par des voix et des plumes irresponsables, leur mutisme n’est pas toléré. Ne rien dire face à ces voix malintentionnées c’est légitimer l’anarchie. Journalistes, réclamez vos droits mais protégez aussi votre noble métier. Aux urnes, citoyens !
Issa ABDOUSSALAMI
Sociologue, doctorant à Aix-Marseille Université
Enseignant de Lettres à l’Académie de Créteil.