Alors que le chef de l’Etat appelle au dialogue national, des politiques s’expriment et se positionnent pour le dialogue. Dans cette interview, Abidhar Abdallah adhère à cet appel car, dit-il, le dialogue reste la voie salutaire pour retrouver l’unité et la concorde nationale …
Vous n’êtes pas sans savoir la situation très préoccupante qui prévaut dans notre pays. Le président Azali appelle dans ses vœux à un dialogue national : quelle est votre position par rapport à cet appel ?
Notre position est celle d’une troisième voie qui rassemble, arrondit les angles et fédère. Et je ne suis pas le seul à croire en cela. Plusieurs personnalités et forces politiques avec qui je discute régulièrement, sont eux aussi persuadés que le dialogue devient chaque jour un passage forcé pour désamorcer la bombe et dénouer cette crise. D’où mon appel au dialogue et à la réconciliation depuis le 23 octobre 2020. Pour nous, les frustrations populaires, le repli insulaire, le discours de la haine et les velléités séparatistes confédérales exacerbées sont la preuve des multiples formes de remise en cause de tout, et même de notre existence en tant que nation digne et indépendante. Vue de l’extérieur, l’image des Comores est complètement écornée et ternie par les gouvernements en exil (malgré eux) et les multiples vrai-faux complots réguliers. Notre pays a ainsi renoué avec l’instabilité, et nous le regrettons tous. Dans cette optique, deux attitudes sont dangereuses, car incendiaires et susceptibles de nous précipiter au fond du gouffre. D’abord croire que l’on peut continuer à gouverner sans problème un pays aussi sinistré comme le nôtre, et puis s’estimer fort pour changer la situation par une forme quelconque de violence. Dans les deux cas, on met le pays en danger. Et donc on ne peut pas y trouver ni sérénité ni sérieux. Voilà pourquoi nous sommes persuadés que le dialogue reste la voie salutaire pour retrouver l’unité et la concorde nationale, redorer notre image, renouer avec la stabilité et espérer remettre le pays sur la voie de l’État de droit, la démocratie, la bonne gouvernance et de la prospérité. Il en va ainsi de notre dignité.
Selon les grands ténors du régime, ce dialogue peut se tenir sans la communauté internationale : que pensez-vous de cette approche ?
Cette approche me paraît peu réaliste et surtout contre-productif. Elle peut aussi, pour certains, être sujet à des multiples suspicions, à juste titre. D’autres peuvent y voir un grand mépris de la gravité de la situation qui sévit dans le pays en ce moment ou comme une autre manœuvre.. Vous pouvez être d’accord avec moi que la crise est incontestablement devenue une crise de confiance entre gouvernés et gouvernants, plus grave encore, entre les populations de nos îles respectives, donc une telle approche est à contre sens. Que diriez-vous si je vous annonce que récemment un haut fonctionnaire international m’a interpellé sur le fait que beaucoup de nos compatriotes comoriens étudiant au Sénégal ont peur de retourner au pays, même après avoir terminé leurs études? Notre pays fait peur à ses propres enfants, ses futurs cadres et dirigeants. J’estime profondément qu’il ne peut pas y avoir de dialogue sensé sans la communauté internationale.
Que dites-vous à l’opposition qui fustige cet appel en indiquant que Azali n’est pas digne de confiance pour avoir trahi et trompé plusieurs fois le pays ?
Il est de leur droit de démontrer que l’offre présenté par le régime manque de sérieux et de sincérité. Mais il ne doit pas y avoir un refus systématique de l’opposition à dialoguer avec le colonel Azali Assoumani. Cela peut paraitre aux yeux d’une population en attente d’une délivrance comme un aveu de faiblesse intellectuel et politique. Autant souligner que l’expérience a montré qu’en politique ceux qui raisonnent en termes de confiance échouent le plus souvent. Le bon sens veut que l’homme politique réfléchisse en termes d’accord et de mécanismes conséquents et capables d’imposer aux uns comme aux autres le respect du consensus. L’intérêt supérieur de la nation nous oblige. Il serait plus éloquent que l’opposition œuvre non pas pour n’importe quelle unité mais plutôt pour un dénominateur commun, une sorte de synthèse afin de réussir à récupérer sa crédibilité auprès du peuple et à traverser avec succès la phase actuelle.
Que proposeriez-vous pour rendre possible ce dialogue national ?
Pour que le dialogue puisse se tenir, j’appelle d’abord à un sursaut national. Il est temps que chaque comorien et comorienne prend conscience de la gravité de la situation et la mesure qui s’impose en s’impliquant davantage dans ce processus qui peine à s’enclencher. J’appelle également à l’autorité habilitée à formuler rapidement auprès de la communauté internationale la demande d’une médiation. Je demanderai aussi que l’on fasse preuve d’ouverture en acceptant l’inscription à l’ordre du jour de tous les sujets et l’octroi d’un ticket de participation à tout acteur majeur de la vie politique et sociale de notre pays ayant manifesté un intérêt à ce dialogue. Par ailleurs, il est temps que l’autorité fasse preuve de bonne volonté et entreprend des gestes d’apaisement envers notamment les prisonniers politiques. Je souhaite enfin la mise en place d’une équipe de facilitateurs comoriens.
Votre mot sur les différentes pénuries qui donnent un goût amer à la vie des comoriens en ce moment.
C’est du jamais vu, il n’y a pas d’excuse possible pour ce qui se passe en ce moment dans notre pays. L’éventail des produits concernés par ces différentes pénuries constitue en lui seul la preuve de la démission et de la faillite de l’État. Ça veut dire aussi que même dans la conscience de ceux qui nous gouvernent l’État s’est déjà effondré. Sinon comment expliquer que personne parmi ces dirigeants de différents secteurs concernés n’aie rien vu venir ? Tout cela est inédit : pénuries de carburants, de produits carnés, de poissons, d’huile, farine, pain, puces, passeports, spécimens d’acte de naissance, craies, ciments….avec l’évidence de la faillite des sociétés d’État. Inimaginable.
Qu’attendez-vous de ce dialogue ? Quelles sont les Comores que vous rêvez ?
J’attends de ce dialogue l’occasion de corriger tous ce qui divisent les comoriens pour que chacun de nous puisse désormais se sentir chez lui aux Comores. J’espère que c’est par là que peut renaître ce dont nous rêvons. Les Comores dans l’unité retrouvée par le relèvement de notre niveau de conscience à partir de l’éducation, la dignité par la réunion des conditions de vie décente et la fierté par la qualité et la prestation de services par l’État. Nous devrions cesser de céder à la fatalité, je suis convaincu que notre capacité à nous réinventer demeure encore intacte.
Propos recueillis par Kamal dine B. A