Dans son cadre stratégique 2022-2031, la FAO encourage les Etats à se pencher sur la transformation vers des systèmes alimentaires plus inclusifs, résilients et durables, notamment en améliorant la production, la nutrition, l’environnement et les conditions de vie en ne laissant personne de côté. Dans cette interview, Mme Dhulal Ali, consultante pour la FAO répond à nos questions. Interview.
La FAO envisage de revitaliser le réseau technique pour des systèmes agroalimentaires plus durables. Quelle politique à mettre en œuvre pour concrétiser ce programme ?
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est l’agence spécialisée des Nations Unies qui mène les efforts internationaux vers l’élimination de la faim. L’objectif est d’atteindre la sécurité alimentaire pour tous et d’assurer un accès régulier et suffisant à une nourriture de bonne qualité permettant à tous, de mener une vie saine et active. La FAO est avant tout une organisation de connaissances, et agit à la requête du gouvernement à travers le cadre de programmation pays (CPF) établi conjointement avec ce gouvernement sur une base quadriennale (quatre ans).
Dans son cadre stratégique 2022-2031, la FAO encourage les Etats à se pencher sur la transformation vers des systèmes alimentaires plus inclusifs, résilients et durables, notamment en améliorant la production, la nutrition, l’environnement et les conditions de vie en ne laissant personne de côté.
L’Union des Comores compte parmi les Petits Etats insulaires en développement (PEID) d’Afrique. Les PEID font face aux diverses crises connues dans le monde (changement climatique, guerre en Ukraine, effets de la pandémie COVID-19, etc.) mais les impacts de ces perturbations sont ressentis et vécus à des échelles et niveaux plus intenses, en comparaison aux pays continentaux. Dans son Programme pour les PEID africains, la FAO met en place un plan d’action multisectoriel, multipartite et multidimensionnel. Une revue exhaustive des politiques, stratégies, programmes et projets contribuant à la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires, au niveau de tous les PEID africains est en cours de finalisation. Cette revue constitue la base de construction du plan d’action car elle permet d’identifier les arènes de gouvernance, de biens et de services qui méritent un renforcement. Le plan d’action répond aux priorités des pays, complémente ou mettra à l’échelle les interventions déjà menées et répondra à des besoins spécifiques des pays. C’est à travers la revitalisation d’un Réseau Technique Interrégional (ITN) que ce plan est mis en place et sera mis en œuvre aux niveaux national, régional (Océan Atlantique et Océan Indien) et interrégional (PEID africains). L’ITN est composé de spécialistes locaux, nationaux et internationaux des secteurs public et privé, de la société civile, des partenaires au développement et des médias qui s’intéressent ou travaillent dans les domaines de la production agricole (agriculture, élevage, pêche et aquaculture), de la formation et de la promotion des emplois verts et bleus en particulier pour les jeunes et les femmes, de la transformation agroalimentaire, de la nutrition et de la santé publique, de l’éducation, du commerce et de l’agro-industrie, du transport, etc.
La raison d’être de cet ITN est qu’il n’existe généralement pas de ministère ou de département gouvernemental spécifique consacré aux problématiques auxquelles font face les pays en tant que PIED.
Cet aspect de vulnérabilité est multisectoriel car touche diverses dimensions politiques, techniques, économiques, sociales, environnementales des PEID. L’ITN rassemble ces dimensions et tous les secteurs pour se pencher spécifiquement sur l’aspect de vulnérabilité lié à l’insularité des PEID.
Toutes les forces prêtes à contribuer de manière concrète et volontaire à la mise en œuvre du plan d’action sont mobilisées dans le cadre d’une consultation interrégionale (en mode hybride) qui sera prochainement organisée pour finaliser la feuille de route. Une fois le plan d’action adopté à tous les niveaux, la FAO soutiendra le processus de développement de capacités et de mobilisation des ressources pour sa mise en œuvre. Le processus de mise en œuvre se fera en étroite collaboration avec l’ITN qui s’assurera de la conformité des actions avec les contextes locaux ainsi que le suivi des interventions et leur évaluation.
Il existe un lien entre le changement climatique et l’agriculture. Vous pensez que ces problématiques seront résolues pour un développement durable aux Comores ?
En effet, le changement climatique a un impact considérable sur l’agriculture et les activités connexes à la production agricole et alimentaire. Non seulement l’intensification de la variabilité du climat influe sur le niveau de production agricole, mais elle accroît en outre le risque de survenue de phénomènes météorologiques extrêmes, de modification des schémas de plantation et d’apparition de foyers d’organismes nuisibles et de maladies. Le changement climatique affecte les moyens de subsistance, la biodiversité et la sécurité alimentaire. Le changement climatique peut affecter les récoltes, le bétail, les sols et les ressources en eau douce, les communautés rurales et les travailleurs agricoles. Le changement climatique amène de nouvelles conditions, qui peuvent rendre certaines zones mieux exploitables ou l’inverse. Cela peut résulter d’une simple variation de température pour certaines zones, d’une sécheresse ou des inondations dans d’autres zones.
Pour favoriser la transition vers des systèmes alimentaires plus inclusifs, résilients et durables, des mesures d’adaptation au changement climatique peuvent réduire les risques sur l’agriculture. Ces mesures comprennent des améliorations et des innovations dans les pratiques de gestion de l’exploitation agricole intelligentes face au climat. Aux Comores, en collaboration avec divers partenaires et donateurs, la FAO contribue à la promotion et la mise en œuvre des politiques d’adaptation et de lutte contre le changement climatique.
A titre d’exemple, le projet RECA-ERA ou projet pour le renforcement des capacités des centres ruraux de développement économique (CRDE) pour l’entrepreneuriat et la résilience agricole aux Comores qui vient de s’achever et qui a présenté ses résultats le samedi 03 Juin 2023 dernier. Ce projet, coordonné par la FAO et financé par l’Ambassade de France, s’est focalisé sur la promotion de l’agroécologie, de l’agriculture intelligente face au climat et d’autres pratiques écologiques, à travers le renforcement des capacités des CRDE. Les agents techniciens agricoles et vulgarisateurs du CRDE assurent désormais et pleinement un rôle de conseiller auprès des producteurs ruraux sur les pratiques résilientes et durables.
Que fait la FAO pour réduire le coût de la nourriture ? Quelles sont les mesures qu’ils entreprennent ?
Les facteurs qui font évoluer les prix des produits alimentaires sont les paramètres fondamentaux des marchés qui influencent l’offre et la demande, mais aussi des facteurs extérieurs aux marchés agricoles, comme les faits nouveaux sur le marché de l’énergie et la hausse des coûts de transports face aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Les modifications soudaines des politiques commerciales, telles que les restrictions à l’exportation, créent également un degré d’incertitude et font augmenter les prix et leur instabilité.
Les hausses de prix ont toujours des conséquences sur la sécurité alimentaire, en particulier pour les populations vulnérables et celles vivant dans des zones en développement. Pour y faire face à court terme, la FAO encourage les gouvernements et les partenaires à mettre en œuvre diverses mesures en faveur des producteurs et des consommateurs, telles que des programmes de protection sociale. Elle reconnaît l’importance de la protection sociale dans la réduction de la faim et de la pauvreté, et dans le renforcement des capacités économiques et productives des personnes les plus marginalisées et les plus pauvres, y compris les communautés de pêcheurs et celles dépendantes des forêts. La FAO contribue à renforcer les liens entre la protection sociale, l’agriculture et la gestion des ressources. Ceci se traduit par la conception et la mise en œuvre de politique, stratégie, programmes et mesures de protection sociale visant à renforcer la capacité des familles à prévenir, gérer, s’adapter et survivre aux effets des crises et des catastrophes naturelles, ainsi qu’à améliorer la nutrition.
À titre d’exemple, la FAO soutient les programmes agricoles aux Comores pour lutter contre la malnutrition et pour vulgariser des techniques de diversification de production et de gestion des chaînes de valeurs agricoles et alimentaires innovantes et efficaces pour créer des emplois et des sources de revenus. C’est le cas du projet d’appui au développement d’une agriculture sensible à la nutrition aux Comores qui s’est achevé en 2021, et a eu pour principaux bénéficiaires, les vulgarisateurs des CRDEs, notamment Dimajou et Simboussa.
En 2019, suite au cyclone Kenneth, le secteur agricole a également été sévèrement touché et certaines parties du pays ont perdu jusqu’à 80 pourcent de leur production. En réponse, la FAO a fourni une assistance technique et financière par le biais du Fonds central d’intervention d’urgence des Nations unies (CERF) pour l’évaluation de l’agriculture, de l’élevage, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. Ainsi, 3 129 ménages ont pu participer à la relance de leurs activités agricoles grâce à un soutien financier Cash+, à la distribution de semences et de matériels ainsi qu’à des formations aux techniques de production plus résilientes et adaptées au changement climatique et aux conditions locales.
À plus long terme, il est impératif d’investir dans l’agriculture, le développement rural, les systèmes commerciaux, les technologies de l’information et de la communication, la santé et l’éducation afin de réduire les facteurs de vulnérabilité et d’accroître la résilience des ménages face aux chocs. Les systèmes agroalimentaires doivent subir d’urgence une transformation radicale qui les rende plus efficaces, plus inclusifs, plus résilients et plus durables. Les agriculteurs et les organisations qui les représentent ainsi que les femmes et les jeunes doivent jouer un rôle central en tant qu’acteurs du changement sur le terrain. En l’absence de changements structurels permettant de s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité intersectoriels et de tenir compte des conditions macroéconomiques, la transformation des systèmes agroalimentaires à elle seule ne suffira pas à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition.
Comment aborderiez-vous les problèmes structurels qui sont à l’origine des crises alimentaires en Afrique et particulièrement en Union des Comores ?
En 2021, le nombre de personnes confrontées à des crises alimentaires a augmenté de 155 millions à 193 millions en l’espace de 12 mois. Les conflits, la crise économique et le changement climatique ont été les principaux moteurs de la faim, plongeant des millions de personnes dans des crises alimentaires. La pandémie de COVID-19, les catastrophes naturelles et les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales dues à la guerre en Ukraine continuent de perturber les vies et les moyens de subsistance, et posent des défis pour la sécurité alimentaire.
Il est donc plus urgent que jamais de s’attaquer aux causes profondes des crises alimentaires. Les programmes de la FAO, en particulier le programme pour les PEID africains, sont axés sur la recherche de solutions novatrices à ces crises. A ce titre, les Comores, l’un des six petits États insulaires en développement identifiés en Afrique, sont impliqués dans ce processus. Dans le cadre de l’initiative actuelle en faveur des PEID Africains, un atelier national est en cours de préparation en vue d’identifier les actions prioritaires à mener pour rendre les systèmes agro-alimentaires plus résilientes, sur la base d’une analyse de la situation et des projets déjà en cours (mapping). La finalisation de ce plan d’actions prioritaires national sera suivie d’un forum interrégional sur les solutions pour les PEIDs africains.
Parmi les autres initiatives qui ont déjà pu contribuer à renforcer les moyens de subsistance des populations vulnérables compte le projet d’appui à la création et à la gestion de poulaillers familiaux pour améliorer la nutrition et les revenus des ménages ruraux dans l’Union des Comores. Les formations sur les chaînes de valeur, la gestion de projet, la réhabilitation et la mise à disposition d’équipement pour des CRDEs au cours du projet RECA ERA compte parmi les efforts conjoints du gouvernement appuyé par la FAO et ses partenaires pour traiter les problématiques à l’origine des crises alimentaires.
L’incertitude, associée à la variabilité croissante du climat, exige que l’on adopte des pratiques agricoles durables et d’autres approches novatrices, notamment l’agriculture intelligente face au climat et l’agriculture de conservation, ainsi que des stratégies et des plans d’investissement pour encourager leur adoption par les agriculteurs et accroître la productivité, les revenus et la résilience des petits exploitants de façon durable. Il n’existe pas de solution universelle, mais la FAO dispose d’un ensemble de solutions viables. Cependant, toute transformation ne pourra porter ses fruits qu’en présence d’un environnement propice, de politiques bien conçues et d’une gouvernance inclusive. Face à la multiplication des risques et des incertitudes, il est essentiel de renforcer la transparence des marchés et de promouvoir le dialogue sur les politiques.
Quelles sont les plus grandes menaces pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Union des Comores et que fait la FAO pour y remédier ?
Les plus grandes menaces pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Union des Comores sont la vulnérabilité au changement climatique, la forte dépendance de l’économie vis-à-vis des importations et des intrants sur les marchés extérieurs, la fragilité et la non-durabilité des systèmes agro-alimentaires, et le multiple fardeau de la malnutrition comptant la sous-nutrition, la carence en micronutriments et l’exposition élevée aux maladies non transmissibles. Par ailleurs, les problèmes de santé, d’hygiène et d’assainissement et la disponibilité en quantité (valeur énergétique) et qualité (valeur nutritionnelle) des aliments produits localement s’ajoutent aux défis croissants de la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Union des Comores.
La FAO s’est engagée à soutenir le développement durable des petits États insulaires en développement (PEID) d’Afrique, comprenant l’Union des Comores, à travers un certain nombre d’initiatives dans des domaines tels que l’économie et la croissance bleue, la pêche et l’aquaculture, l’agriculture intelligente face au climat et l’adaptation au climat pour le développement rural.
Elle aide également à populariser des techniques de production et de valorisation innovantes et efficaces auprès des agriculteurs, contribuant ainsi à la diversification de la production et des sources de revenus, et à la création d’emplois. Parallèlement, elle encourage la production et la diffusion de pratiques de valorisation des aliments locaux riches en nutriments, afin de relever les défis majeurs qui menacent la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Union des Comores.
En 2023, la FAO redouble d’efforts pour la réduction des risques, l’action anticipée et les interventions de renforcement de la résilience.
À court terme, les filets de sécurité et les programmes de protection sociale doivent être renforcés pour que les plus nécessiteux puissent en bénéficier. Simultanément, les petits exploitants agricoles doivent avoir accès aux moyens de production et aux technologies indispensables pour pouvoir accroître leur production. Ces technologies comprennent des semences de qualité, des engrais, ainsi que des machines agricoles adaptées. Une augmentation de la production locale est indispensable pour faire baisser les prix des denrées alimentaires pour les consommateurs pauvres, tant ruraux qu’urbains.
À moyen et à long terme, la solution structurelle aux problèmes de la faim réside dans l’augmentation de la production dans les pays à déficit vivrier. Il est essentiel de mettre en place des politiques stables et efficaces, des mécanismes réglementaires et institutionnels et des infrastructures commerciales fonctionnelles, propres à promouvoir les investissements dans le secteur agricole.
Comment assurez-vous une agriculture saine aux Comores ?
La FAO a pour objectif d’aider ses pays membres à atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 pour le développement durable et à permettre à leurs populations de mener une vie saine et active. Pour ce faire, elle soutient le gouvernement et ses partenaires dans l’amélioration de la gouvernance institutionnelle et structurelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’aquaculture, du prélèvement de produits forestiers, au profit des producteurs agricoles. Cela se traduit par le renforcement des capacités le long des chaînes de valeurs (techniques adaptés et améliorées de production, lutte contre la perte et le gaspillage alimentaire, technologie de conservation et de transformation agro-alimentaires, etc.), l’appui au renforcement de la disponibilité d’intrants de qualité (semences, engrais, équipements, races animales plus performantes à l’instar du poulet Kuroiler introduite à travers le CRDE de Ouani sur l’île d’Anjouan etc.) dans les zones vulnérables.
Les pays à déficit vivrier tels que les Comores doivent créer des institutions basées sur le principe du droit à une alimentation adéquate. Celles-ci devront évoluer vers une plus grande transparence et responsabilité, favorisant l’habilitation des pauvres et la participation aux prises de décisions qui les intéressent. Les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale permettront de faire un grand pas dans cette direction.
En outre, au niveau d’autres pays en Afrique centrale, la FAO a appuyé la promotion d’une agriculture saine et durable à travers de bonnes pratiques agronomiques et d’utilisations sûres de pesticides alternatifs. En plus de cela, la FAO, à travers son appui à la mise en œuvre de la Convention de Rotterdam, vise à protéger la santé de l’homme et son environnement des effets potentiels de certains pesticides dangereux.
Propos recueillis par KDBA