Au cours d’une interview, Saidi Yakubu, ambassadeur de la République Unie de Tanzanie auprès de l’Union des Comores, est revenu sur la coopération entre les deux pays. À quelques jours de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance des Comores, le diplomate a rappelé qu’il s’agit d’une étape importante, incarnant la résilience, la souveraineté et les aspirations communes des deux nations. Selon lui, la Tanzanie et les Comores entretiennent des liens historiques, culturels et économiques de longue date et profondément enracinés.

Al-fajr: La Tanzanie est l’un des principaux fournisseurs des Comores. Aujourd’hui, le taux des échanges commerciaux entre les deux pays atteint 12 %, ce qui reste relativement faible par rapport à d’autres partenaires, notamment la Chine (24,4 %) et les Émirats arabes unis (20,8 %). Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Et comment la Tanzanie prévoit-elle d’augmenter son volume d’échanges commerciaux avec les Comores ?
S. Yakubu: Merci pour cette question importante et opportune, d’autant plus que nous commémorons le 50ᵉ anniversaire de l’indépendance de l’Union des Comores, une étape marquante incarnant la résilience, la souveraineté et les aspirations communes de nos nations.
La Tanzanie et les Comores partagent une relation historique, culturelle et économique étroite. Nos échanges commerciaux, qui représentent actuellement 12 % des importations comoriennes, constituent une base solide fondée sur la proximité géographique, la confiance mutuelle et la solidarité régionale. Cela dit, nous reconnaissons qu’un potentiel significatif reste inexploité, surtout si l’on considère l’influence croissante d’acteurs économiques majeurs.
Plusieurs facteurs expliquent la situation actuelle : la taille et capacité industrielle : bien que la Tanzanie figure parmi les économies les plus dynamiques d’Afrique de l’Est, notre base industrielle est encore en développement. En comparaison, certains partenaires disposent de capacités de production et de réexportation plus vastes, ce qui explique leur position dominante dans le commerce comorien. La logistique et connectivité : jusqu’à récemment, les liaisons maritimes et les capacités de stockage entre nos pays étaient insuffisantes. L’absence de lignes directes régulières constituait un frein que nous nous efforçons désormais de lever. Le flux commerciaux indirects : une partie des produits tanzaniens transitent par des pays tiers avant d’arriver aux Comores, ce qui fausse les statistiques officielles.
Notre coopération a pris un tournant structurant avec la signature de l’Accord général de coopération en 2009. En juillet 2024, s’est tenue à Dar es Salaam la première réunion de la Commission permanente mixte (CPM), marquant une nouvelle phase de collaboration. Quatre protocoles d’accord ont été signés dans les domaines suivants : diplomatie, santé, commerce/industrie et information.
Pour renforcer notre partenariat commercial, nous mettons en œuvre plusieurs stratégies : la modernisation du cadre commercial bilatéral fondé sur la confiance et la suppression progressive des barrières non tarifaires. L’amélioration des infrastructures de transport, notamment au port de Dar es Salaam, ainsi que le développement des liaisons maritimes et aériennes avec les Comores. L’organisation de missions commerciales ciblées, notamment dans l’agroalimentaire, les produits pharmaceutiques et l’industrie légère. L’harmonisation douanière et numérisation des procédures, via le déploiement de plateformes de pré-dédouanement et d’échanges numériques. L’exploitation des opportunités offertes par la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine) pour intégrer nos économies dans des chaînes de valeur régionales.
En 2023, la Tanzanie est devenue le premier partenaire africain des Comores avec 54 millions USD d’échanges (soit environ 71,2 millions KMF par jour). Nos exportations incluent des produits agricoles (tomates, oignons, ail, pommes de terre), des boissons, des produits pharmaceutiques, du ciment, du bois, du textile, des animaux vivants et des machines. En retour, les Comores exportent vers la Tanzanie des déchets, de l’aluminium et des bateaux en fibre de verre, avec une tendance à la hausse.
Notre objectif ne se limite pas à augmenter les volumes, mais à promouvoir un commerce équitable, durable et à valeur ajoutée, au bénéfice des deux peuples.
Al-fajr: Récemment, les deux pays ont exprimé leur volonté de renforcer leur coopération au plus haut niveau. Quels sont les domaines prioritaires à cet effet ?
S.Yakubu: Le renforcement de nos relations bilatérales est guidé par une vision commune de paix, d’intégration régionale et de développement partagé. Nos priorités actuelles s’articulent autour des axes suivants : Facilitation des échanges commerciaux : suppression des barrières non tarifaires, renforcement des infrastructures logistiques, et développement de secteurs clés comme l’agriculture, la pêche et l’industrie légère. Renforcement des capacités institutionnelles : coopération technique dans : l’administration fiscale ; la numérisation des services publics ; le développement des transports maritimes et aériens ; la modernisation des systèmes de santé.
Quant à l’harmonisation des politiques fiscales. Des discussions sont en cours pour établir un accord de non-double imposition. En ce qui concerne la promotion du kiswahili : langue d’unité régionale, le kiswahili sera promu à travers des programmes éducatifs, la formation des enseignants et la diffusion de matériel pédagogique. Alors que pour la coordination diplomatique. Nous allons intensifier la collaboration dans les enceintes multilatérales (Union africaine, Commission de l’océan Indien), notamment en matière de sécurité maritime et de durabilité. Pour les relations humaines, il y a les échanges universitaires, les partenariats sur la jeunesse, les festivals culturels et le développement du tourisme.
Al-fajr: De nombreux Comoriens se rendent en Tanzanie pour y recevoir des soins médicaux. Comment votre pays entend-il renforcer cette coopération dans le secteur de la santé ?
S.Yakubu: La santé est un pilier fondamental de notre coopération, fondée sur la compassion et la solidarité. Un protocole d’accord en matière de santé a été signé, et nous le mettons en œuvre dans plusieurs domaines : Accueil des patients comoriens dans les hôpitaux de Dar es Salaam et Dodoma, avec des procédures d’orientation simplifiées. Échanges professionnels sous forme d’ateliers, de formations pratiques et de visites médicales entre institutions. Camps médicaux itinérants : une nouvelle mission aura lieu à Anjouan en août prochain, à la suite du succès du précédent camp. Télémédecine : nous développons des plateformes pour permettre l’accès à distance aux soins, notamment dans les zones rurales ou isolées. Logistique et approvisionnement pharmaceutique : nous étudions actuellement l’élargissement du protocole d’accord pour y inclure la chaîne logistique médicale.
Notre approche est fondée sur les principes d’équité, de qualité et d’accessibilité pour tous.
Al-fajr: On constate une forte présence de commerçants tanzaniens aux Comores, alors que des Comoriens rencontreraient des difficultés à exercer des activités similaires en Tanzanie. Cette situation est-elle discutée entre les deux pays ?
S.Yakubu: C’est une préoccupation légitime. Permettez-moi d’être clair : il n’existe aucune politique officielle en Tanzanie interdisant aux Comoriens d’exercer des activités économiques licites. La Tanzanie est réputée pour son ouverture et son engagement en faveur de l’intégration régionale.
Les cas signalés sont généralement liés à des aspects administratifs — permis, enregistrement, fiscalité — et non à des discriminations fondées sur la nationalité.
Conscients de ces perceptions, nos gouvernements ont entamé un dialogue bilatéral. J’ai d’ailleurs convenu avec la Chambre de commerce des Comores de réunions trimestrielles pour identifier les obstacles et trouver des solutions concrètes.
Nos peuples ne sont pas en concurrence. Ils partagent des liens de fraternité, de solidarité et un avenir commun.
Al-fajr: La Tanzanie a soutenu les Comores dans leur lutte pour l’indépendance. Quelle est votre perception de ce 50ᵉ anniversaire et comment envisagez-vous l’avenir des relations bilatérales ?
S.Yakubu: Le 50ᵉ anniversaire de l’indépendance des Comores est bien plus qu’un jalon national : c’est une victoire pour toute l’Afrique. La Tanzanie a été un soutien indéfectible au Mouvement de Libération Nationale des Comores (MOLINACO), en hébergeant ses membres et en plaidant pour la souveraineté comorienne sur la scène internationale.
Aujourd’hui, nous partageons la fierté de cette réussite, mais aussi la responsabilité d’en faire un tremplin vers une coopération renouvelée dans : le commerce ; l’éducation ; l’énergie ; la gouvernance numérique ; les infrastructures maritimes ; la santé.
Ce jubilé d’or est un rappel puissant que notre alliance repose sur des fondements historiques solides et des ambitions communes.
Al-fajr: dernier mot?
S.Yakubu: Alors que nous regardons vers l’avenir, la Tanzanie reste inébranlable dans son engagement envers l’Union des Comores. Guidés par notre passé commun et une vision partagée de développement, nous continuerons de bâtir un partenariat inclusif, stratégique et tourné vers l’avenir. Je saisis cette occasion pour adresser mes sincères félicitations au gouvernement et au peuple comorien pour ce jubilé d’or, et réaffirmer la volonté de la Tanzanie de marcher aux côtés des Comores pour les générations à venir.
Propos recueillis par Kamal Saïd Abdou






