Sommet sur l’économie des pays africains, secteur informel, promotion de l’économie comorienne, bilan économique du président Azali, entre autres sont des sujets abordés à travers une longue interview avec Dr Abdallah Msa.
Le chef de l’Etat comorien a pris part au sommet sur l’économie des pays africains. En quoi ce sommet fait-il sens au rebond post-covid de notre pays ?
Les Comores, comme tous les pays africains et le reste du monde, sont touchés depuis le mois de mars 2020 par la pandémie du Covid-19. Notre pays, malgré des ressources limitées, se bat pour faire face à ce fléau dont les conséquences sanitaires, sécuritaires, économiques et sociales, sont sans précèdent. Ses effets dévastateurs ont démontré dans tous les pays les insuffisances politiques, structurelles, techniques et scientifiques pour faire face à une telle pandémie. Grâce aux efforts déployés par le président de la République, Azali Assoumani, appuyés par son gouvernement, les gouverneurs et les responsables techniques, on est parvenu en mobilisant efficacement les forces sociales à maîtriser sa propagation, malgré les insuffisances de moyens, évitant ainsi au peuple comorien, le carnage pourtant prédit par certaines prévisions pessimistes. Cependant, la persistance de cette crise, a provoqué le ralentissement du commerce, du transport aérien et des activités touristiques, la baisse des transferts d’argent de la diaspora, la régression de la croissance et la hausse du chômage. Malgré les résultats appréciables obtenus, notre pays reste toujours menacé, en raison de la forte propagation de cette pandémie en Inde et au Brésil, qui assurent une bonne partie de nos approvisionnements en produits alimentaires. Des mesures sont engagées pour diversifier l’approvisionnement de ces produits de première nécessité, indispensables à la consommation de notre population. Cette pandémie affecte notre économie et gonfle les charges sociales que doit supporter l’Etat pour honorer ses obligations dans la prise en charge des soins sanitaires et trouver en même temps les moyens d’honorer régulièrement les salaires des agents de la Fonction publique, de rembourser de la dette extérieure et de poursuivre sans interruption la réalisation des investissements de construction des infrastructures de base, indispensables à la croissance. Devant la baisse des échanges commerciaux et des activités des transports et de tourisme, le déficit croissant en ressources s’accroit pour pouvoir financer et relancer la croissance.
Les études réalisées en Afrique, montrent qu’on a besoin de 425 milliards de dollars sur le Continent, durant une période de trois ans pour combler le déficit qui se creuse dans tous les Etats africains. Devant cette situation, les pays donateurs et les institutions financières internationales proposent d’utiliser l’allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI, pour relancer l’économie, pour pouvoir mobiliser 33 à 42 milliards de dollars, à des conditions concessionnelles. Face à cette exigence, notre pays ne pouvait devant les résultats éclatants rapportés par la diplomatie active menée par le Président de la République qui a relevé le rang et la place des Comores dans le Concert des Nations, surtout en Afrique et auprès de nos partenaires au développement, que participer à cette Conférence de Paris, du 18 mai dernier, chargé comme tout le monde l’a vu, d’étudier le financement du développement en Afrique, afin de défendre les intérêts du peuple comorien et ceux des autres pays d’Afrique de l’Est et de l’Océan Indien, pour trouver les moyens d’alléger le fardeau de la dette, financer et réaliser les investissements de développement de nos pays respectifs.
Quelle politique économique à mettre en place pour la gestion du secteur informel lequel contribue à l’économie du pays ?
Le secteur informel joue un rôle important dans les économies africaines, représente un poids significatif dans des activités de distribution du marché intérieur, et représente une force importante dans la société comorienne. Dans ces conditions, toute politique de relance de l’économie nationale, ne pourra se concevoir et se réaliser, sans la prise en compte de cette force sociopolitique, qui domine le secteur vital de la distribution. Les agents du secteur informel, souvent rejetés par le secteur bancaire, dépendent dans leur activité, du système traditionnel d’épargne et de crédit, ou bien d’une organisation occulte d’évasion fiscale que mettent des fois en place certains commerçants pour échapper à la fiscalité. Restructurer et réorganiser le secteur informel, consiste à mettre en œuvre une politique pour réorganiser le système de distribution du marché intérieur, développer la coopération avec les pays de la région, réorganiser les échanges commerciaux et se préparer efficacement pour exploiter le marché intégré continental pour promouvoir le marché intérieur et soutenir le développement du pays. Une réorganisation de ce secteur, s’impose pour élargir l’assiette fiscale, mobiliser au maximum les ressources intérieures, réorganiser efficacement le système de distribution pour maîtriser la hausse des prix à la consommation et améliorer les conditions de vie de la population.
Plusieurs secteurs économiques sont à l’arrêt par cause du covid-19. Comment pensez-vous attirer des investisseurs afin de promouvoir l’économie du pays ?
L’attractivité de notre pays en matière économique dépend de plusieurs facteurs économiques, sociaux, juridiques, institutionnels et politiques pour parvenir à convaincre les investisseurs privés, à les inciter à prendre des risques pour injecter des ressources et financer la réalisation des investissements de développement. En effet une volonté politique s’accompagne d’une volonté et d’une détermination des dirigeants pour mettre en œuvre des réformes des fois complexes et difficiles, engager des actions claires pour faciliter la mobilisation des forces économiques et sociales, impliquer et faire participer des opérateurs économiques privés nationaux et étrangers dans la conception, le financement et la réalisation des investissements. Inciter des opérateurs étrangers, comme les nationaux, à investir massivement et dans les secteurs prioritaires, consiste à mettre en œuvre des réformes de management et de pilotage de l’économie, une valorisation continue des ressources humaines, une réorganisation efficiente de la justice et des services administratifs fiscaux et économiques, de mettre en place d’un dialogue et d’un partenariat public/privé, suivi et capable de faciliter le dialogue et les échanges dans les prises de décision. Le secteur privé qu’il soit national ou étranger, doit être considéré comme un vrai partenaire, capable, dans un esprit de gagnant-gagnant, de lui permettre de défendre ses intérêts et contribuer à réaliser les objectifs fixés dans le développement du pays.
Le pays est reproché de corruption et de gestion opaque par des uns et des autres, comment répondez-vous à cela ?
Les insuffisances structurelles, le manque de personnel qualifié, le faible niveau des salaires des agents de l’Etat face à la hausse continue du coût de la vie, le non-respect des règles établis dans l’octroi et la passation des marchés publics, l’absence d’évaluation périodique, de notation et de sanction en cas de défaillances avérées des agents dans l’exercice de leurs missions et le manque de contrôle de gestion des services publics et des entreprises de l’Etat, provoquent des impunités, des hors la lois, favorise un laisser-aller et développe des tentations frauduleuses non réprimandées qui renforcent le climat de vols et de corruption. Des efforts doivent être engagés pour relever la qualité et l’impartialité des services judiciaires, mettre en place des Institutions et des services publics adéquats pour contrôler et évaluer les actions engagées, gérer d’une manière transparente et dans le respect des règles en vigueur les entreprises publiques, appliquer des règles strictes de passation des marchés publics et renforcer les sanctions contre les détournements des fonds publics.
Quel bilan économique et financier dressez-vous à ce régime depuis la réélection d’Azali Assoumani ?
Dresser un bilan économique de deux ans, marqués par une longue pandémie du Covid-19 doublée d’une crise économique et financière internationale, risque de minimiser les efforts endogènes réalisés par notre pays durant cette période. Faut-il se rappeler qu’à la fin de 2019 et à quelques semaines de la Conférence de Paris et le début de cette de crise sanitaire, notre pays a été évalué et classé pour la première fois par la Banque Mondiale, non pas dans le peloton des pays pauvres, mais comme un pays intermédiaire, dans la tranche de revenu inférieur. Ce classement, réalisé sur la base d’évaluation et d’analyse économique et financière approfondie de la période 2016-2019, montre que le Bilan réalisé sans complaisance par les Institutions de Bretton Woods, les plus respectées et les plus qualifiées dans ce domaine, reste un travail purement technique. Ce travail reste non pas une manœuvre politique, mais un vrai diagnostic technico-économique, réalisé par des grands professionnels pour évaluer les performances du pays. Ce travail d’évaluation vient de démontrer que l’action menée par le gouvernement du Président Azali Assoumani, depuis son retour à la tête de notre pays, est positive et contribue au développement du pays. Les progrès réalisés depuis la fin de 2019, s’inscrivent certes, dans la mise en œuvre des efforts engagés depuis 2016 pour redresser et construire l’économie du pays, mais dont l’intensité ne pouvait échapper aux effets pervers de la crise générée par la Pandémie au cours des deux dernières années. Certes la persistance de la crise sanitaire, risque d’affecter gravement les performances économiques enregistrées. Si le pays est parvenu à réaliser un taux de croissance moyen de 2% par an durant ces deux dernières années, au moment où les autres pays voisins sont rentrés en récession avec une baisse de la croissance qui va de -1% à -6% par an, on salue les efforts engagés sans moyens additionnels suffisants. Grâce à ce nouveau classement, notre pays pourra mobiliser des ressources plus importantes auprès de nos partenaires bilatéraux et multilatéraux (aides et prêts) avec des emprunts, à des conditions concessionnelles (taux d’intérêt AID-Banque Mondiale) mais aussi les emprunts aux conditions du marché, que la plupart des institutions financières comme la Banque Africaine de Développement ou la Banque Islamique de Développement, pourront nous accorder pour financer les projets de développement. Des pas significatifs ont été franchis, mais beaucoup reste encore à faire. En dépit des effets dévastateurs du Corona-19 et la persistance de la crise économique et financière internationale qui ébranle surtout les économies fragiles, on doit mettre tout en œuvre pour réaliser rapidement les investissements présentés à la Conférence de Paris de 2019, mobiliser les ressources nationales et étrangères indispensables, finaliser les études techniques, négocier le financement et l’exécution rapide des projets. Malgré les répercussions économiques et sociales du Covid-19, qui continuent à peser lourdement sur le commerce extérieur, l’activité du transport et du tourisme, le transfert de l’épargne de la diaspora, les recettes budgétaires, la dette extérieure, le chômage des jeunes et la hausse des prix à la consommation, des nouvelles perspectives se dégagent. Le lancement rapide d’une politique de relance globale de la croissance devient indispensable pour résoudre le chômage des jeunes, diversifier et transformer notre économie. Pour y arriver, on doit finaliser les études des projets soumis à Paris en 2019, engager un travail de lobbying pour concrétiser les promesses et les engagements pris par nos partenaires. La mise en œuvre de ce programme nécessite la réactualisation des projets, le suivi et le contrôle efficient des actions, auxquels doivent participer les acteurs économiques, surtout les femmes et les jeunes. Certes les efforts de ces deux dernières années ont permis, de poursuivre la construction des infrastructures routières et sociales et maintenir un faible niveau du taux d’endettement (30% du PIB), contrairement à la tendance enregistrée dans les autres pays africains où l’on a assisté au gonflement de la dette (taux d’endettement moyen de 60%).
Admettez-vous que l’essor économique passera par l’entreprenariat des jeunes ?
La mobilisation des jeunes, de mieux en mieux formés et disposant des compétences et d’expertise dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication, constitue la voie salutaire permettant de développer une économie moderne, prospère et compétitive, capable d’exploiter les atouts et les potentialités réelles de notre pays et tirer les avantages de la mondialisation et du développement du marché continental intégré, en cours de création. Notre pays à une population très jeune. Les jeunes sont de mieux en mieux formés, aussi bien dans les grandes écoles européennes, américaines et africaines que dans notre pays et disposent du savoir-faire capable de transformer et diversifier la base productive, de construire une économie compétitive et dynamique, pour créer des emplois durables, réduire la pauvreté et assurer des transferts technologiques et accélérer la croissance. Cette jeunesse mieux formée et plus compétente constitue un levier important pour attirer les capitaux et les investisseurs étrangers, accélérer les investissements de transformation et de modernisation de l’appareil productif indispensables au développement et l’émergence de notre pays. Des aides ciblées et adaptées pour encourager, aider et promouvoir cette force restent indispensables pour le développement et l’émergence du pays.
Comment voyez-vous le pays dans 5 ans ?
Les nouvelles perspectives de développement de notre pays sont liées à notre volonté, à notre capacité et à notre détermination pour mobiliser et exploiter efficacement les ressources humaines, naturelles et financières, pour intensifier et moderniser notre appareil productif, valoriser et transformer au maximum nos ressources, diversifier la base productive, relever la compétitivité et les performances des entreprises publiques et privées, mettre en place un dialogue permanent des acteurs et des opérateurs économiques, sociaux et politiques, afin de renforcer la démocratie et l’état de droit, et assurer la paix et la stabilité dans notre pays.
Propos recueillis par KDBA