Les talents des Comores brillent à mille feux. Mmadi Abdoul Anziz, architecte comorien installé dans l’île comorienne de Mayotte nous raconte son parcours architectural et ses techniques de travail. Dans cette interview, l’architecte évoque l’architecture néo-vernaculaire, la construction avec de la brique en terre compressée ainsi que ses regrets sur la démolition des bâtiments coloniaux et anciennes mosquées. Interview.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Mmadi Addoul Anziz. Je suis chef d’entreprise dans le secteur du BTP et formé en architecture. Installé à Mayotte depuis plusieurs années, mon parcours a débuté en tant que conducteur de travaux dans une entreprise de revêtement de sol et mur. Par la suite, j’ai été chargé d’opérations immobilières au sein d’un grand groupe avant de travailler dans un bureau d’étude technique d’ingénierie BTP en tant que chargé d’affaires. J’ai acquis une riche expérience en structures de bâtiment et en conception architecturale. Mon parcours dans le bâtiment a commencé dès le collège, où j’ai travaillé comme main d’œuvre aux côtés de maçons jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat tout en étant sur chantier. Une anecdote intéressante : je remercie l’ancien gouvernement de Sambi, qui m’avait octroyé une bourse que j’ai refusée, mais qui a financé une partie de mes études. Je suis également reconnaissant envers l’ancien directeur de Comores hydrocarbures, M. Ahmed. Le ciment, pour moi, coule dans mes veines.
Architecte que vous êtes, parlez-nous de l’architecture néo-vernaculaire?
L’architecture néo-vernaculaire réinterprète les styles et techniques de construction traditionnels en les adaptant aux besoins et technologies contemporains. Elle s’efforce de préserver l’identité culturelle et l’héritage architectural tout en répondant aux exigences modernes de confort, de durabilité et d’efficacité énergétique. Cette architecture est un pont entre le passé et le présent, intégrant des matériaux locaux et des pratiques traditionnelles avec des innovations actuelles.
Comment définissez-vous l’architecture comorienne ?
L’architecture comorienne reflète un riche patrimoine culturel influencé par les échanges entre l’Afrique, l’Arabie, l’Asie et l’Europe. Elle se caractérise par l’utilisation de matériaux locaux comme la pierre volcanique, le bois, le corail (désormais banni pour sa dangerosité pour l’environnement) et le bambou. Les constructions traditionnelles, souvent simples et fonctionnelles, sont conçues pour s’adapter au climat tropical et aux conditions locales. Les détails ornementaux et les techniques artisanales témoignent d’un savoir-faire ancestral et d’une esthétique unique. Par exemple, les maisons en paille démontrent une ingénierie avancée de nos ancêtres, utilisant des fondations en pierre volcanique, des toitures tissées en feuilles de cocotier et des charpentes en bois à deux pentes. Nous devrions exploiter ces techniques pour construire des hôtels de luxe, à l’image de nos voisins des Maldives. Les toits en paille peuvent réduire la chaleur intérieure de 5°C. Imaginez des maisons en béton enveloppées de toitures en paille, offrant à la fois confort et esthétisme. Pour cela, il est impératif de reconnaître et de protéger les architectes comoriens, souvent dispersés à travers le monde. Actuellement, aucune institution ne les protège, et les ingénieurs prennent souvent le rôle des architectes. Des lois doivent être mises en place pour garantir que chaque profession exerce dans les meilleures conditions.
Comment réagissez-vous par rapport à la démolition des bâtiments coloniaux et des anciennes mosquées ?
La démolition des bâtiments coloniaux et des anciennes mosquées représente une perte inestimable de notre patrimoine historique et culturel. Ces structures sont des témoins de notre passé et de notre identité collective. Plutôt que de les démolir, il est essentiel de trouver des moyens de les préserver, de les restaurer et de les intégrer dans notre environnement urbain moderne. La conservation de ces bâtiments permet de maintenir un lien avec notre histoire tout en enrichissant notre paysage architectural. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place une structure qui protège ces bâtiments, avec l’État jouant un rôle central dans cette protection. Par exemple, dans mon village, des bâtiments coloniaux ont été démolis sans consultation des architectes. Anjouan est la seule île qui conserve mieux son patrimoine grâce à ses associations et à son ministère chargé du patrimoine, bien que ces derniers se limitent souvent à des conférences sans actions concrètes. La mise en place de permis de démolition et de construction, contrôlés par l’État, serait judicieuse.
Quelles techniques constructives utilisez-vous ?
Dans mes projets, j’utilise une combinaison de techniques traditionnelles et modernes. Par exemple, j’intègre souvent des matériaux locaux comme le béton, la pierre et le bois, tout en adoptant des méthodes de construction contemporaines pour améliorer l’efficacité et la durabilité. Ces techniques me permettent de concevoir et de construire des bâtiments à la fois esthétiques, fonctionnels et respectueux de l’environnement.
Que pensez-vous justement de la construction avec de la brique en terre compressée ?
La brique en terre compressée est une excellente alternative aux matériaux de construction traditionnels. Elle présente de nombreux avantages : elle est écologique, car fabriquée à partir de matériaux locaux et renouvelables ; elle offre une bonne isolation thermique et phonique ; et elle est économique. En outre, elle permet de réduire l’empreinte carbone des constructions. Utiliser ces matériaux dans nos projets permet de promouvoir des pratiques de construction durables et respectueuses de l’environnement. J’ai apprécié la mise en place d’entreprises de fabrication de BTC aux Comores. Cependant, il est contradictoire de les fabriquer à Ngazidja, où il n’y a pas assez de terre argileuse. Le coût des matières premières y est donc élevé. Il serait plus judicieux de développer cette industrie à Anjouan et Mohéli, où la terre argileuse est plus abondante, afin de réduire les coûts.
Comment intégrer l’ancienne architecture dans la modernité ?
Intégrer l’ancienne architecture dans la modernité nécessite une approche respectueuse et créative. Il est crucial de préserver les éléments architecturaux et historiques tout en les adaptant aux besoins actuels. Cela peut se faire en rénovant les structures existantes avec des matériaux modernes, en améliorant leur fonctionnalité et leur efficacité énergétique, et en les intégrant harmonieusement dans le paysage urbain contemporain. La clé est de trouver un équilibre entre conservation et innovation.
Un dernier mot.
L’architecture est une discipline qui nous permet de façonner notre environnement et de refléter notre identité culturelle. En tant qu’architecte et chef d’entreprise, je m’engage à promouvoir des pratiques de construction durables et à valoriser notre patrimoine architectural. Ensemble, nous pouvons bâtir un avenir qui respecte notre passé tout en répondant aux défis de demain. Dans mon prochain livre, j’aborde en profondeur l’architecture vernaculaire et les modes de constructions ancestrales dans l’océan Indien, en particulier dans l’archipel des Comores. Je prie pour que l’État commence à sanctionner ceux qui démolissent des bâtiments anciens sans autorisation préalable. L’amélioration de l’architecture réside dans le fait de donner plus de pouvoir aux architectes. Pour finir, je suis constructeur, et cela me plaît énormément, car j’aime beaucoup le béton.
Propos recueillis par KDBA