Nos gouvernants sont d’incorrigibles stratèges en procédures entortillées dès qu’il est question d’organiser la moindre chose.
Il existe une mécanique de l’échec comorien. Cette mécanique, j’entends la dévoiler, pour qu’on puisse la dépasser, et retrouver les chemins de la prospérité. Commençons par mesurer l’ampleur du problème. Nos indicateurs économiques sont alarmistes depuis des années. La cruauté des chiffres est sans appel :
-En 2021, notre PIB était près de 9 fois inférieur à celui de l’île Maurice
-58% de nos emplois sont classés « vulnérables »
-Climat des affaires dans le monde en 2020 : Comores classées 160e pays sur 190.
-Indice de développement humain : Comores au 156e rang sur 191 pays
-Indice de corruption (échelle de 1 à 100) : moyenne mondiale 57 ; moyenne africaine 67, Comores 81.
– L’agriculture emploie plus de 70% de la population active, pour des rendements négligeables.
-Le chômage touche près de 50% des jeunes diplômés
Ces quelques chiffres décrivent la faillite de notre modèle de gouvernance, et l’impuissance de notre économie. Comment y remédier ? Les solutions courantes sont dans toutes les caboches : attirer les capitaux étrangers, solliciter les fonds d’aide internationaux, renégocier la dette, lutter contre la corruption endémique, … Que penser de cette litanie de bonnes intentions ? Au risque de paraître iconoclaste j’affirme que d’autres solutions doivent être préconisées pour obtenir un développement effectif sur le long terme. Nous pouvons par exemple faire la promotion d’un tourisme vert et respectueux de la nature. Le pays dispose exceptionnellement d’un patrimoine forestier et naturel apprécié par les touristes.
Le temps est venu de dépasser les discours volontaristes. Le lyrisme n’est plus de mise. Ce qu’il nous faut c’est de l’expertise, du diagnostic, et une libération des énergies entrepreneuriales pour fonder une véritable économie. Le développement des Comores sera atteint en plusieurs étapes.
Première urgence : rénover nos institutions féodales, afin de libérer les énergies créatrices, l’entrepreneuriat et la production de richesses. Vendons la mèche : trop de notables bien installés piétinent la grande tradition au profit de l’enrichissement personnel. Nous ne savons plus à quelle tradition nous fier, c’est pourquoi une vaste réflexion nationale doit être entreprise ces prochaines années pour séparer le bon grain de l’ivraie corruptrice. La vraie Tradition de nos aïeux se meurt chaque année davantage au profit de mille petites traditions vétilleuses qui empêchent la liberté d’action collective. Oui, la corruption a infiltré nos pratiques culturelles et elle nous gangrène de l’intérieur, ralentissant l’économie du long terme au profit d’une économie de l’immédiat. Nous assurons l’urgence en tuant l’avenir.
Soyons précis : en 2020, nos exportations constituaient 7,6% du PIB comorien, tandis que les importations atteignaient 29% du PIB. Nous reposons notre avenir sur une économie de rente, la fameuse trinité : Vanille, Ylang ylang, clous de girofle. Ces exportations assurent bien peu de prospérité, puisque c’est l’exportation de produits transformés qui génère la richesse économique. Mais ceci implique des industries, dans lesquelles notre Etat n’investit guère.
Comment moderniser nos îles sans écraser nos coutumes ? Comment enrichir nos concitoyens sans altérer notre identité ?
Notre principal atout, c’est notre solidarité culturelle, et les valeurs saines qui irriguent notre peuple. Mais nous savons que notre solidarité ne permet pas le développement : elle limite seulement les situations critiques. Nous devons donc miser sur une culture entrepreneuriale et commerciale plus volontaire si nous souhaitons engranger de la prospérité.
Une politique ambitieuse de transports publics, maritimes, terrestres et aériens permettra d’accroître les flux de richesses et de personnes entre nos territoires, dont le nouveau dynamisme offrira en retour une explosion des recettes fiscales : « le grand chantier de demain pour le comorien, c’est l’avènement d’une circulation nouvelle express qui lui permettrait de travailler dans une île la journée et de rentrer le soir chez lui dans une autre île sans qu’il ait perdu des heures et tout son salaire ».
Nous sommes à la veille d’une ère nouvelle. Il ne tient qu’à nous de saisir l’opportunité du développement, qui commence par une saine auto-critique de nos usages, et un refus implacable de toute corruption. Il faut laisser l’économie se développer, exiger des administrations qu’elles accompagnent plutôt qu’elles ne freinent les projets de la jeunesse. L’économie informelle est un jeu à somme nulle qui ne crée aucune plus-value pour le pays. Augmenter la productivité du pays passe par l’augmentation des flux de personnes et de capitaux.
Nassur Oumouri
Vice-Président du fonds du développement des Comores
Auteur du livre « les conditions du développement des Comores »