Pour une société en perdition, une nation fracturée et un Etat gangrené, notamment par la corruption, le dialogue est sans aucun doute le moyen le plus efficace pour tenter de retrouver le bon chemin et se réconcilier. Seul le dialogue permet de faire le bon constat, de souligner les travers et de proposer des perspectives.
Toute personne dotée de raison connait les vertus d’un dialogue et ne peut qu’inciter et se réjouir de sa tenue. Plus particulièrement dans un pays ravagé par la pauvreté, où les valeurs de cohésion sociale de justice égalitaire sont abandonnées voire foulées aux pieds, et dont les dirigeants ont démontré depuis près de cinq décennies leur incapacité à gouverner de façon harmonieuse et à répondre aux attentes de la population. C’est bien le cas des Comores. Et l’appel au dialogue prôné par le gouvernement, trois ans à peine après les assises, illustre parfaitement la sévérité et l’incongruité de la situation.
Oui en Union des Comores, rien ne va. Le peuple est moralement atteint. Et personne ne croit sérieusement en des lendemains qui chantent. La jeunesse désespérée perd les repères et s’engage sur une pente dangereuse. Le chômage explose, la pauvreté s’accroit, la violence prend un visage jusque-là inconnu, les injustices s’accumulent et les fonctionnaires n’en peuvent plus à cause des salaires trop bas, souvent versés dans la douleur et de l’inflation galopante.
Ce dialogue annoncé fin février est une sorte d’autoflagellation pour un gouvernement et un président qui ont toujours fait l’apologie du chaos en niant l’existence du moindre problème dans le pays. De leur petit monde arrogant et suffisant, de l’antichambre où les visiteurs-courtisans font les éloges habituels de la politique du vide, ils ne se rendent pas compte des drames régulièrement vécus par le peuple, ce peuple si loin de leurs préoccupations.
Mais comme le dit si bien le vieil adage : mieux vaut-tard que jamais. Ce dialogue pourrait avoir le mérite de tout réparer, de réconcilier nos populations et refaire de nous une vraie nation.
A condition que ce dialogue soit un moment de sincérité, plutôt qu’un nouveau cirque destiné à amuser la galerie et à faire croire que la méchanceté demeure une spécialité de l’autre camp.
Cette sincérité doit être perceptible dans la capacité du gouvernement à écouter l’opposition et la société civile jusqu’à parvenir à des compromis acceptables dans l’intérêt supérieur de la nation. Mais continuer à chanter le même refrain d’une vieille musique en criant que les autres chantent faux : qu’ils ont toujours tort ou qu’ils sont de mauvais perdants est synonyme d’échec prévisible. Un dialogue sous forme d’un débat entre soi aboutira aux mêmes résultats que ceux des assises de 2018 véritables jeux de cirque dont les clowns de service n’amusaient que les metteurs en scène et dont le bilan est catastrophique pour les institutions, et surtout pour les citoyens qui en paient un lourd tribut.
Voilà pourquoi je ne suis pas d’accord avec mon confrère Ahmed Ali Amir quand il charge, dans le journal La Gazette, l’opposition pour son refus de participer à ce dialogue. Il l’accuse d’avoir « fait un aveu d’échec » tout en prétendant faussement que c’est la première fois dans l’histoire qu’une opposition refuse de dialoguer avec un gouvernement en qui, elle n’a plus confiance.
Quant au coordinateur national du dialogue, il m’a sidéré lorsque lors de son premier entretien avec le journal Al-Watwan, fin novembre après sa nomination, il considère comme illégitimes les préalables de l’opposition, notamment la libération des prisonniers politiques. Selon lui, « les problèmes politiques que le pays vit en ce moment peuvent être posés au sein même du dialogue. Ceux qui doivent prendre part au dialogue ont sans doute des préoccupations qui leurs sont particulières et ils ont intérêt à prendre part au dialogue pour poser leurs problèmes au lieu de faire la politique de la chaise vide».
Toutes ces déclarations cautionnées par le gouvernement ne contribuent pas à l’apaisement. Au contraire, elles amplifient la méfiance et renforcent le sentiment général qu’il s’agit d’une opération à desseins multiples autres que la réconciliation du pays.
Mais il n’est jamais trop tard pour mieux faire. Il reste encore quelques semaines pour essayer de raccorder les violons et mettre tout le pays sur le même diapason. Retrouvons la foi vers laquelle notre nation s’est toujours attachée. S’il faut tout changer, et vite, alors il ne faut pas hésiter, si c’est pour le bien du peuple comorien. Par exemple : libérer les prisonniers politiques pour ouvrir cette voie de la confiance, ne serait que réparer une injustice qui n’a que trop duré ; reconnaitre que la réforme constitutionnelle de 2018 n’a pas respecté les règles des institutions et qu’elle les a rendues encore plus fragiles ne saurait être une abdication, mais plutôt une marque de respect vis-à-vis de ces mêmes institutions et du peuple qu’elles sont censées être à son service.
Je comprends que pour une grande partie de nos compatriotes le désespoir est si profond, qu’elle refuse de croire à des lendemains radieux. Mais, je reste persuadé qu’une petite lumière peut émerger à tout moment pour illuminer les cœurs de nos dirigeants et apporter de l’espérance dans la communauté nationale. Il suffit d’y croire et d’agir avec courage et sincérité.
Ali MMADI